Nicette jeunesse, ni ses juges n'accordaient plus le moindre crédit au dire de Paul Valéry, quand la première guerre mondiale avait déjà paru secouer notre monde sur ses bases : « nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous somme mortelles ». Cette formule trop frappée est' devenue une vieille scie. Le goût aujourd'hui n'est plus de l'invoquer bouch» bée, c'est de la
AccueilCOMMENTAIRES L'AIR DU TEMPS «Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.» (Paul VALERY) L'AIR DU TEMPS «Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.» (Paul VALERY) Par. BM. Sidwaya - 3 novembre 2019. Facebook. Twitter. Pinterest. WhatsApp. Linkedin. Email. Print.
Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles», écrivait-il en 1919 à la fin de la première guerre mondiale qui venait de dévaster l’Europe. Il la croyait mortellement atteinte, mais une guerre
Cesdeux fêtes sauvages mirent le monde en harmonie avec Paul Valéry au XXème siècle : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » Mourir pour ressusciter á quoi ? En tout cas les civilisations reprirent du poil de la bête.
Introduction: « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». Cette phrase célèbre, rédigée par Paul Valéry en 1919 figure dans un essai, publié à la NFR, étant intitulé La crise de L’Esprit, qui par ailleurs sert de début de phrase à son texte philosophique Variété l.
Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles », se désolait Paul Valéry dans La Crise de l’esprit, en 1919, au lendemain du désastre de la Première Guerre mondiale. Sans lui faire injure, d’autres n’avaient pas attendu si longtemps pour en faire l’amère expérience. La preuve avec cette soirée consacrée à deux civilisations anciennes,
. La longue, l’inépuisable durée des civilisations Un texte classique de Fernand Braudel Fernand Braudel… Ce texte est extrait de l’article de Fernand Braudel Histoire des Civilisations le passé explique le présent » publié en 1959 dans L’encyclopédie française et repris en 1997 dans Les Ambitions de l’Histoire Paris, Éditions de Fallois, 1997. Ce que l’historien des civilisations peut affirmer, mieux qu’aucun autre, c’est que les civilisations sont des réalités de très longue durée. Elles ne sont pas mortelles , à l’échelle de notre vie individuelle surtout, malgré la phrase trop célèbre de Paul Valéry. Je veux dire que les accidents mortels, s’ils existent et ils existent, bien entendu, et peuvent disloquer leurs constellations fondamentales les frappent infiniment moins souvent qu’on ne le pense. Dans bien des cas, il ne s’agit que de mises en sommeil. D’ordinaire, ne sont périssables que leurs fleurs les plus exquises, leurs réussites les plus rares, mais les racines profondes subsistent au-delà de bien des ruptures, de bien des hivers. Réalités de longue, d’inépuisable durée, les civilisations, sans fin réadaptées à leur destin, dépassent donc en longévité toutes les autres réalités collectives; elles leur survivent. De même que, dans l’espace, elles transgressent les limites des sociétés précises qui baignent ainsi dans un monde régulièrement plus vaste qu’elles-mêmes et en reçoivent, sans toujours en être conscientes, une impulsion, des impulsions particulières, de même s’affirme dans le temps, à leur bénéfice, un dépassement que Toynbee a bien noté et qui leur transmet d’étranges héritages, incompréhensibles pour qui se contente d’observer, de connaître le présent » au sens le plus étroit. Autrement dit, les civilisations survivent aux bouleversements politiques, sociaux, économiques, même idéologiques que, d’ailleurs, elles commandent insidieusement, puissamment parfois. La Révolution française n’est pas une coupure totale dans le destin de la civilisation française, ni la Révolution de 1917 dans celui de la civilisation russe, que certains intitulent, pour l’élargir encore, la civilisation orthodoxe orientale. Je ne crois pas davantage, pour les civilisations s’entend, à des ruptures ou à des catastrophes sociales qui seraient irrémédiables. Donc, ne disons pas trop vite, ou trop catégoriquement, comme Charles Seignobos le soutenait un jour 1938 dans une discussion amicale avec l’auteur de ces lignes, qu’il n’y a pas de civilisation française sans une bourgeoisie, ce que Jean Cocteau traduit à sa façon La bourgeoisie est la plus grande souche de France… Il y a une maison, une lampe, une soupe, du feu, du vin, des pipes, derrière toute oeuvre importante de chez nous. » Et cependant, comme les autres, la civilisation française peut, à la rigueur, changer de support social, ou s’en créer un nouveau. En perdant telle bourgeoisie, elle peut même en voir pousser une autre. Tout au plus changerait-elle, à cette épreuve, de couleur par rapport à elle-même, mais elle conserverait presque toutes ses nuances ou originalités par rapport à d’autres civilisations; elle persisterait, en somme, dans la plupart de ses vertus » et de ses erreurs ». Du moins, je l’imagine… Aussi bien, pour qui prétend à l’intelligence du monde actuel, à plus forte raison pour qui prétend y insérer une action, c’est une tâche payante » que de savoir discerner, sur la carte du monde, les civilisations aujourd’hui en place, en fixer les limites, en déterminer les centres et périphéries, les provinces et l’air qu’on y respire, les formes » particulières et générales qui y vivent et s’y associent. Sinon, que de désastres ou de bévues en perspective! Dans cinquante, dans cent ans, voire dans deux ou trois siècles, ces civilisations seront encore, selon toute vraisemblance, à peu près à la même place sur la carte du monde, que les hasards de l’Histoire les aient, ou non, favorisées, toutes choses égales d’ailleurs, comme dit la sagesse des économistes, et sauf évidemment si l’humanité, entre-temps, ne s’est pas suicidée, comme malheureusement elle en a, dès aujourd’hui, les moyens. Ainsi notre premier geste est de croire à l’hétérogénéité, à la diversité des civilisations du monde, à la permanence, à la survie de leurs personnages, ce qui revient à placer au premier rang de l’actuel cette étude de réflexes acquis, d’attitudes sans grande souplesse, d’habitudes fermes, de goûts profonds qu’explique seule une histoire lente, ancienne, peu consciente tels ces antécédents que la psychanalyse place au plus profond des comportements de l’adulte. Il faudrait qu’on nous y intéresse dès l’école, mais chaque peuple prend trop de plaisir à se considérer dans son propre miroir, à l’exclusion des autres. En vérité, cette connaissance précieuse reste assez peu commune. Elle obligerait à considérer en dehors de la propagande, valable seulement, et encore, à court terme tous les graves problèmes des relations culturelles, cette nécessité de trouver, de civilisation à civilisation, des langages acceptables qui respectent et favorisent des positions différentes, peu réductibles les unes aux autres. Et pourtant, tous les observateurs, tous les voyageurs, enthousiastes ou maussades, nous disent l’uniformisation grandissante du monde. Dépêchons-nous de voyager avant que la terre n’ait partout le même visage! En apparence, il n’y a rien à répondre à ces arguments. Hier, le monde abondait en pittoresque, en nuances; aujourd’hui toutes les villes, tous les peuples se ressemblent d’une certaine manière Rio de Janeiro est envahi depuis plus de vingt ans par les gratte-ciel; Moscou fait penser à Chicago; partout des avions, des camions, des autos, des voies ferrées, des usines; les costumes locaux disparaissent, les uns après les autres… Cependant, n’est-ce pas commettre, au-delà d’évidentes constatations, une série d’erreurs assez graves? Le monde d’hier avait déjà ses uniformités; la technique et c’est elle dont on voit partout le visage et la marque n’est assurément qu’un élément de la vie des hommes, et surtout, ne risquons-nous pas, une fois de plus, de confondre la et les civilisations ? La terre ne cesse de se rétrécir et, plus que jamais, voilà les hommes sous un même toit » Toynbee, obligés de vivre ensemble, les uns sur les autres. A ces rapprochements, ils doivent de partager des biens, des outils, peut-être même certains préjugés communs. Le progrès technique a multiplié les moyens au service des hommes. Partout la civilisation offre ses services, ses stocks, ses marchandises diverses. Elle les offre sans toujours les donner. Si nous avions sous les yeux une carte des répartitions des grosses usines, des hauts fourneaux, des centrales électriques, demain des usines atomiques, ou encore une carte de la consommation dans le monde des produits modernes essentiels, nous n’aurions pas de peine à constater que ces richesses et que ces outils sont très inégalement répartis entre les différentes régions de la terre. Il y a, ici, les pays industrialisés, et là , les sous-développés qui essaient de changer leur sort avec plus ou moins d’efficacité. La civilisation ne se distribue pas également. Elle a répandu des possibilités, des promesses, elle suscite des convoitises, des ambitions. En vérité, une course s’est instaurée, elle aura ses vainqueurs, ses élèves moyens, ses perdants. En ouvrant l’éventail des possibilités humaines, le progrès a ainsi élargi la gamme des différences. Tout le peloton se regrouperait si le progrès faisait halte ce n’est pas l’impression qu’il donne. Seules, en fait, les civilisations et les économies compétitives sont dans la course. Bref, s’il y a, effectivement, une inflation de la civilisation, il serait puéril de la voir, au-delà de son triomphe, éliminant les civilisations diverses, ces vrais personnages, toujours en place et doués de longue vie. Ce sont eux qui, à propos de progrès, engagent la course, portent sur leurs épaules l’effort à accomplir, lui donnent, ou ne lui donnent pas un sens. Aucune civilisation ne dit non à l’ensemble de ces biens nouveaux, mais chacune lui donne une signification particulière. Les gratte-ciel de Moscou ne sont pas les buildings de Chicago. Les fourneaux de fortune et les hauts fourneaux de la Chine populaire ne sont pas, malgré des ressemblances, les hauts fourneaux de notre Lorraine ou ceux du Brésil de Minas Gerais ou de Volta Redonda. Il y a le contexte humain, social, politique, voire mystique. L’outil, c’est beaucoup, mais l’ouvrier, c’est beaucoup aussi, et l’ouvrage, et le coeur que l’on y met, ou que l’on n’y met pas. Il faudrait être aveugle pour ne pas sentir le poids de cette transformation massive du monde, mais ce n’est pas une transformation omniprésente et, là où elle s’accomplit, c’est sous des formes, avec une ampleur et une résonance humaine rarement semblables. Autant dire que la technique n’est pas tout, ce qu’un vieux pays comme la France sait, trop bien sans doute. Le triomphe de la civilisation au singulier, ce n’est pas le désastre des pluriels. Pluriels et singulier dialoguent, s’ajoutent et aussi se distinguent, parfois à l’oeil nu, presque sans qu’il soit besoin d’être attentif. Sur les routes interminables et vides du Sud algérien, entre Laghouat et Ghardaïa, j’ai gardé le souvenir de ce chauffeur arabe qui, aux heures prescrites, bloquant son autocar, abandonnait ses passagers à leurs pensées et accomplissait, à quelques mètres d’eux, ses prières rituelles… Ces images, et d’autres, ne valent pas comme une démonstration. Mais la vie est volontiers contradictoire le monde est violemment poussé vers l’unité; en même temps, il reste fondamentalement divisé. Ainsi en était-il hier déjà unité et hétérogénéité cohabitaient vaille que vaille. Pour renverser le problème un instant, signalons cette unité de jadis que tant d’observateurs nient aussi catégoriquement qu’ils affirment l’unité d’aujourd’hui. Ils pensent qu’hier le monde était divisé contre lui-même par l’immensité et la difficulté des distances montagnes, déserts, étendues océaniques, écharpes forestières constituaient autant de barrières réelles. Dans cet univers cloisonné, la civilisation était forcément diversité. Sans doute. Mais l’historien qui se retourne vers ces âges révolus, s’il étend ses regards au monde entier, n’en perçoit pas moins des ressemblances étonnantes, des rythmes très analogues à des milliers de lieues de distance. La Chine des Ming, si cruellement ouverte aux guerres d’Asie, est plus proche de la France des Valois, assurément, que la Chine de Mao Tsétoung ne l’est de la France de la Ve République. N’oublions pas d’ailleurs que même à cette époque, les techniques voyagent. Les exemples seraient innombrables. Mais là n’est pas le grand ouvrier de l’uniformité. L’homme, en vérité, reste toujours prisonnier d’une limite, dont il ne s’évade guère. Cette limite, variable dans le temps, elle est sensiblement la même, d’un bout à l’autre de la terre, et c’est elle qui marque de son sceau uniforme toutes les expériences humaines, quelle que soit l’époque considérée. Au Moyen Age, au XVIe siècle encore, la médiocrité des techniques, des outils, des machines, la rareté des animaux domestiques ramènent toute activité à l’homme lui-même, à ses forces, à son travail; or, l’homme, lui aussi, partout, est rare, fragile, de vie chétive et courte. Toutes les activités, toutes les civilisations s’éploient ainsi dans un domaine étroit de possibilités. Ces contraintes enveloppent toute aventure, la restreignent à l’avance, lui donnent, en profondeur, un air de parenté à travers espace et temps, car le temps fut lent à déplacer ces bornes. Justement, la révolution, le bouleversement essentiel du temps présent, c’est l’éclatement de ces enveloppes » anciennes, de ces contraintes multiples. A ce bouleversement, rien n’échappe. C’est la nouvelle civilisation, et elle met à l’épreuve toutes les civilisations. Mais entendons-nous sur cette expression le temps présent. Ne le jugeons pas, ce présent, à l’échelle de nos vies individuelles, comme ces tranches journalières, si minces, insignifiantes, translucides, que représentent nos existences personnelles. A l’échelle des civilisations et même de toutes les constructions collectives, c’est d’autres mesures qu’il faut se servir, pour les comprendre ou les saisir. Le présent de la civilisation d’aujourd’hui est cette énorme masse de temps dont l’aube se marquerait avec le XVIIIe siècle et dont la nuit n’est pas encore proche. Vers 1750, le monde, avec ses multiples civilisations, s’est engagé dans une série de bouleversements, de catastrophes en chaîne elles ne sont pas l’apanage de la seule civilisation occidentale. Nous y sommes encore, aujourd’hui. Cette révolution, ces troubles répétés, repris, ce n’est pas seulement la révolution industrielle, c’est aussi une révolution scientifique mais qui ne touche qu’aux sciences objectives, d’où un monde boiteux tant que les sciences de l’homme n’auront pas trouvé leur vrai chemin d’efficacité, une révolution biologique enfin, aux causes multiples, mais au résultat évident, toujours le même une inondation humaine comme la planète n’en a jamais vue. Bientôt trois milliards d’humains ils étaient à peine 300 millions en 1400. Si l’on ose parler de mouvement de l’Histoire, ce sera, ou jamais, à propos de ces marées conjuguées, omniprésentes. La puissance matérielle de l’homme soulève le monde, soulève l’homme, l’arrache à lui- même, le pousse vers une vie inédite. Un historien habitué à une époque relativement proche le XVIe siècle par exemple a le sentiment, dès le XVIIIe, d’aborder une planète nouvelle. Justement, les voyages aériens de l’actualité nous ont habitués à l’idée fausse de limites infranchissables que l’on franchit un beau jour la limite de la vitesse du son, la limite d’un magnétisme terrestre qui envelopperait la Terre à 8 000 km de distance. De telles limites, peuplées de monstres, coupèrent hier, à la fin du XVe siècle, l’espace à conquérir de l’Atlantique… Or, tout se passe comme si l’humanité, sans s’en rendre compte toujours, avait franchi du XVIIIe siècle à nos jours une de ces zones difficiles, une de ces barrières qui d’ailleurs se dressent encore devant elle, dans telle ou telle partie du monde. Ceylan vient seulement de connaître, avec les merveilles de la médecine, la révolution biologique qui bouleverse le monde, en somme la prolongation miraculeuse de la vie. Mais la chute du taux de natalité, qui accompagne généralement cette révolution, n’a pas encore touché l’île, où ce taux reste très haut, naturel, à son maximum… Ce phénomène se retrouve dans maints pays, telle l’Algérie. Aujourd’hui seulement, la Chine connaît sa véritable entrée, massive, dans la vie industrielle. La France s’y enfonce à corps perdu. Est-il besoin de dire que ce temps nouveau rompt avec les vieux cycles et les traditionnelles habitudes de l’homme? Si je m’élève si fortement contre les idées de Spengler ou de Toynbee, c’est qu’elles ramènent obstinément l’humanité à ses heures anciennes, périmées, au déjà vu. Pour accepter que les civilisations d’aujourd’hui répètent le cycle de celle des Incas, ou de telle autre, il faut avoir admis, au préalable, que ni la technique, ni l’économie, ni la démographie n’ont grand-chose à voir avec les civilisations. En fait, l’homme change d’allure. La civilisation, les civilisations, toutes nos activités, les matérielles, les spirituelles, les intellectuelles, en sont affectées. Qui peut prévoir ce que seront demain le travail de l’homme et son étrange compagnon, le loisir de l’homme? Ce que sera sa religion, prise entre la tradition, l’idéologie, la raison ? Qui peut prévoir ce que deviendront, au-delà des formules actuelles, les explications de la science objective de demain, ou le visage que prendront les sciences humaines, dans l’enfance encore, aujourd’hui ? Dans le large présent encore en devenir, une énorme diffusion » est donc à l’oeuvre. Elle ne brouille pas seulement le jeu ancien et calme des civilisations les unes par rapport aux autres; elle brouille le jeu de chacune par rapport à elle-même. Cette diffusion, nous l’appelons encore, dans notre orgueil d’Occidentaux, le rayonnement de notre civilisation sur le reste du monde. A peine peut-on excepter de ce rayonnement, à dire d’expert, les indigènes du centre de la Nouvelle-Guinée, ou ceux de l’Est himalayen. Mais cette diffusion en chaîne, si l’Occident en a été l’animateur, lui échappe désormais, de toute évidence. Ces révolutions existent maintenant en dehors de nous. Elles sont la vague qui grossit démesurément la civilisation de base du monde. Le temps présent, c’est avant tout cette inflation de la civilisation et, semble-t-il, la revanche, dont le terme ne s’aperçoit pas, du singulier sur le pluriel. Semble-t-il. Car je l’ai déjà dit cette nouvelle contrainte ou cette nouvelle libération, en tout cas cette nouvelle source de conflits et cette nécessité d’adaptations, si elles frappent le monde tout entier, y provoquent des mouvements très divers. On imagine sans peine les bouleversements que la brusque irruption de la technique et de toutes les accélérations qu’elle entraîne peut faire naître dans le jeu interne de chaque civilisation, à l’intérieur de ses propres limites, matérielles ou spirituelles. Mais ce jeu n’est pas clair, il varie avec chaque civilisation, et chacune, vis-à -vis de lui, sans le vouloir, du fait de réalités très anciennes et résistantes parce qu’elles sont sa structure même, chacune se trouve placée dans une position particulière. C’est du conflit ou de l’accord entre attitudes anciennes et nécessités nouvelles, que chaque peuple fait journellement son destin, son actualité ». Quelles civilisations apprivoiseront, domestiqueront, humaniseront la machine et aussi ces techniques sociales dont parlait Karl Mannheim dans le pronostic lucide et sage, un peu triste, qu’il risquait en 1943, ces techniques sociales que nécessite et provoque le gouvernement des masses mais qui, dangereusement, augmentent le pouvoir de l’homme sur l’homme? Ces techniques seront-elles au service de minorités, de technocrates, ou au service de tous et donc de la liberté? Une lutte féroce, aveugle, est engagée sous divers noms, selon divers fronts, entre les civilisations et la civilisation. Il s’agit de dompter, de canaliser celle-ci, de lui imposer un humanisme neuf. Dans cette lutte d’une ampleur nouvelle il ne s’agit plus de remplacer d’un coup de pouce une aristocratie par une bourgeoisie, ou une bourgeoisie ancienne par une presque neuve, ou bien des peuples insupportables par un Empire sage et morose, ou bien une religion qui se défendra toujours par une idéologie universelle , dans cette lutte sans précédent, bien des structures culturelles peuvent craquer, et toutes à la fois. Le trouble a gagné les grandes profondeurs et toutes les civilisations, les très vieilles ou plutôt les très glorieuses, avec pignon sur les grandes avenues de l’Histoire, les plus modestes également. De ce point de vue, le spectacle actuel le plus excitant pour l’esprit est sans doute celui des cultures en transit » de l’immense Afrique noire, entre le nouvel océan Atlantique, le vieil océan Indien, le très vieux Sahara et, vers le Sud, les masses primitives de la forêt équatoriale. Cette Afrique noire a sans doute, pour tout ramener une fois de plus à la diffusion, raté ses rapports anciens avec l’Égypte et avec la Méditerranée. Vers l’océan Indien se dressent de hautes montagnes. Quant à l’Atlantique, il a été longtemps vide et il a fallu, après le XVe siècle, que l’immense Afrique basculât vers lui pour accueillir ses dons et ses méfaits. Mais aujourd’hui, il y a quelque chose de changé dans l’Afrique noire c’est, tout à la fois, l’intrusion des machines, la mise en place d’enseignements, la poussée de vraies villes, une moisson d’efforts passés et présents, une occidentalisation qui a fait largement brèche, bien qu’elle n’ait certes pas pénétré jusqu’aux moelles les ethnographes amoureux de l’Afrique noire, comme Marcel Griaule, le savent bien. Mais l’Afrique noire est devenue consciente d’elle-même, de sa conduite, de ses possibilités. Dans quelles conditions ce passage s’opère-t-il, au prix de quelles souffrances, avec quelles joies aussi, vous le sauriez en vous y rendant. Au fait, si j’avais à chercher une meilleure compréhension de ces difficiles évolutions culturelles, au lieu de prendre comme champ de bataille les derniers jours de Byzance, je partirais vers l’Afrique noire. Avec enthousiasme. E n vérité, aurions-nous aujourd’hui besoin d’un nouveau, d’un troisième mot, en dehors de culture et de civilisation dont, les uns ou les autres, nous ne voulons plus faire une échelle des valeurs? En ce milieu du XXe siècle, nous avons insidieusement besoin, comme le XVIIIe siècle à sa mi-course, d’un mot nouveau pour conjurer périls et catastrophes possibles, dire nos espoirs tenaces. Georges Friedmann, et il n’est pas le seul, nous propose celui d’humanisme moderne. L’homme, la civilisation, doivent surmonter la sommation de la machine, même de la machinerie l’automation qui risque de condamner l’homme aux loisirs forcés. Un humanisme, c’est une façon d’espérer, de vouloir que les hommes soient fraternels les uns à l’égard des autres et que les civilisations, chacune pour son compte, et toutes ensemble, se sauvent et nous sauvent. C’est accepter, c’est souhaiter que les portes du présent s’ouvrent largement sur l’avenir, au-delà des faillites, des déclins, des catastrophes que prédisent d’étranges prophètes les prophètes relèvent tous de la littérature noire. Le présent ne saurait être cette ligne d’arrêt que tous les siècles, lourds d’éternelles tragédies, voient devant eux comme un obstacle, mais que l’espérance des hommes ne cesse, depuis qu’il y a des hommes, de franchir. © Le Temps stratégique, No 82, Genève, juillet-août 1998 ADDENDA Sur Braudel Son premier mérite, c’est qu’il a vraiment compris qu’au vingtième siècle, il fallait faire une histoire au-delà de l’hexagone, au-delà des problèmes français, qu’il fallait absolument percevoir les problèmes européens et, pour reprendre une expression qui n’existait pas encore quand il a écrit La Méditerranée, les problèmes du tiers monde, et même avoir une vision planétaire. Sa vision mondiale de l’Histoire Je crois que son grand mérite a été de comprendre qu’il y avait une évolution irrépressible, que personne ne pouvait contenir, pour sortir de cette espèce d’européo-centrisme qui avait fonctionné à plein au XIXe siècle et à l’époque coloniale, et encore pendant la première moitié du XXe siècle, et qu’il fallait désormais avoir vraiment une vision mondiale de l’histoire. Son histoire à plusieurs temps Son second mérite … a été de mettre en relation les événements historiques et les événements à plus longue durée, disons les événements anthropologiques, et ainsi de concevoir qu’il y a plusieurs temps dans l’histoire. Il y a un temps court, celui des événements; cela ne correspond d’ailleurs pas du tout à sa pensée de dire qu’il a rejeté l’événement, mais il a toujours considéré qu’il fallait être capable d’aller plus loin que les événements, de comprendre ce qui les provoquait, même quand il s’agissait d’événements aussi dramatiques que la Révolution française par exemple. Et puis il y a ce qu’il a appelé la longue durée et cela a été une idée très importante … Sa mise en scène du social D’une façon plus générale, il a introduit non seulement l’histoire sociale mais le rôle des sociétés dans l’histoire économique. On avait tendance à compartimenter les choses, avec, disons, une histoire des événements, des gouvernements et des chancelleries; une histoire plus sociale et une histoire économique, celle-ci tendant à être en quelque sorte autonome par rapport aux autres, même si on essayait d’en tirer des enseignements pour les deux autres. Je crois que Braudel a beaucoup veillé à introduire les changements sociaux, les modifications des sociétés, dans l’histoire économique. » Pierre Daix, in Regards », Paris, No 7, novembre 1995, à propos du livre qu’il venait d’écrire Braudel Paris, Flammarion, 1995. Ibn Khaldoun, précurseur médiéval de l’histoire des civilisations Ibn Khaldoun 1331-1406, historien maghrébin, a été l’un des premiers théoriciens de l’histoire des civilisations. Arnold Toynbee dit de lui qu’il a conçu et formulé une philosophie de l’Histoire qui est sans doute le plus grand travail qui ait jamais été créé par aucun esprit dans aucun temps et dans aucun pays. » Vérifier les faits investiguer les causes » Dans la Muqadimma, introduction en trois volumes de son Kitab al-Ibar Histoire des Arabes, des Persans et des Berbères, Ibn Khaldoun écrit J’ai suivi un plan original pour écrire l’Histoire et choisi une voie qui surprendra le lecteur, une marche et un système tout à fait à moi … en traitant de ce qui est relatif aux civilisations et à l’établissement des villes ». Il est conscient que sa démarche novatrice qui rompt avec l’interprétation religieuse de l’histoire Les discours dans lesquels nous allons traiter de cette matière formeront une science nouvelle … C’est une science sui generis car elle a d’abord un objet spécial la civilisation et la société humaine, puis elle traite de plusieurs questions qui servent à expliquer successivement les faits qui se rattachent à l’essence même de la société. Tel est le caractère de toutes les sciences, tant celles qui s’appuient sur l’autorité que celles qui sont fondées sur la raison. » Tout au long de son oeuvre, il souligne la discipline à laquelle doivent s’astreindre ceux qui exercent le métier d’historien l’examen et la vérification des faits, l’investigation attentive des causes qui les ont produits, la connaissance profonde de la manière dont les événements se sont passés et dont ils ont pris naissance. » Les empires durent environ 120 ans » Ibn Khaldoun n’a le loisir d’étudier que le monde arabo-musulman l’Andalousie, le Maghreb, le Machreq. C’est donc dans ce cadre limité qu’il élabore sa théorie cyclique des civilisations rurales ou bédouines umran badawi et urbaines umran hadari. Pour lui, les civilisations sont portées par des tribus qui fondent dynasties et empires. » Les empires ainsi que les hommes ont leur vie propre … Ils grandissent, ils arrivent à l’âge de maturité, puis ils commencent à décliner … En général, la durée de vie [des empires] … ne dépasse pas trois générations 120 ans environ. » Ibn Khaldoun, conseiller auprès de deux sultans maghrébins, grand juge cadi au Caire, put observer de l’intérieur l’émergence du pouvoir politique et sa confrontation à la durée historique. Ibn Khaldoun est considéré comme l’un des fondateurs de la sociologie politique. Sources Discours sur l’histoire universelle Al Muqadimma, par Ibn Khaldoun, traduit de l’arabe par Vincent Monteil Paris/Arles, Sindbad/Actes Sud, 3e édition, 1997 et Ibn Khaldoun naissance de l’histoire, passé du tiers monde, par Yves Lacoste Paris, François Maspero, 1978, réédité chez La Découverte, 1998. De quelques noms cités Georges Friedmann 1902-1977, philosophe français, est surtout connu pour ses travaux de sociologue du travail. Considéré comme un des plus importants rénovateurs français des sciences sociales de l’après-guerre, il eut recours aux outils d’analyse marxistes pour observer les grands bouleversements à l’oeuvre dans la société industrielle. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Traité de sociologie du travail coauteur avec Pierre Naville, Paris, A. Colin, 1961-1962, Humanisme du travail et humanités Paris, A. Colin, 1950, Où va le travail humain? Paris, Gallimard, 1970. Le bon vieux temps du Dakar-Djibouti Marcel Griaule 1898-1956, ethnologue français, fut engagé dans de nombreuses recherches de terrain couvrant notamment l’Abyssinie, le Soudan français et le Tchad. Il fut également à la tête de la mission ethnographique Dakar-Djibouti 1931-1933 et titulaire en 1942 de la première chaire d’ethnologie à la Sorbonne. Auteur de nombreux ouvrages sur la méthode ethnographique, il s’est particulièrement intéressé à l’ethnie Dogon Mali. Charles Seignobos 1854-1942 historien français, auteur en particulier d’une Histoire politique de l’Europe contemporaine 1897. Considérant que tout ce qui n’est pas prouvé doit rester provisoirement douteux », Seignobos fut partisan d’une histoire superficielle et événementielle. Cette vision positiviste » rencontra de vives contestations auprès d’une nouvelle génération d’historiens pour qui la nécessité d’approfondir les phénomènes devait permettre une compréhension plus globale de l’histoire. Une culture naît au moment où une grande âme se réveille » Oswald Spengler, 1880-1936, philosophe allemand, est l’auteur du célèbre Déclin de l’Occident 1916-1920, ouvrage qui eut un écho à la mesure de l’effondrement de l’empire allemand. Spengler expose dans son ouvrage une philosophie pessimiste de l’histoire, en opposition à l’idéologie de progrès dominant à l’époque. Selon lui, l’Occident serait entré dès les débuts du XXe siècle dans sa phase de déclin. Au-delà , Spengler propose une théorie générale et cyclique des huit principales civilisations et des innombrables cultures du monde. Pour lui, il n’existe pas de sens général de l’histoire juste des successions de cycles similaires au cycle biologique. Pour lui, les unités de base de l’histoire sont les cultures dont il dit qu’elles sont de véritables organismes vivants Une culture naît au moment où une grande âme se réveille, se détache de l’état psychique primaire d’éternelle enfance humaine, forme issue de l’informe, limite et caducité sorties de l’infini et de la durée. Elle croît sur le sol d’un paysage exactement délimitable, auquel elle reste liée comme la plante. Une culture meurt quand l’âme a réalisé la somme entière de ses possibilités, sous la forme de peuples, de langues, de doctrines religieuses, d’arts, d’États, de sciences, et qu’elle retourne ainsi à l’état psychique primaire. » Le nazisme tenta de récupérer les conceptions philosophiques de Spengler, puis finit par les critiquer. De l’action civilisatrice des minorités créatrices » Arnold Toynbee 1889-1975, historien britannique, est l’auteur d’une somme monumentale, Study of History Étude de l’histoire, publiée en douze volumes entre 1934 et 1961. Dénombrant 26 civilisations, il développe une conception cyclique de leur évolution. Pour lui, les civilisations naissent de l’action de minorités créatrices » et passent toutes par des étapes de croissance, de rupture breakdown puis de désintégration. Son oeuvre témoigne d’une vision non-européocentrique de l’histoire. Paul Valéry 1871-1945, écrivain français proche du poète Mallarmé, entré en 1925 à l’Académie française, est l’auteur d’une phrase célèbre sur le destin des civilisations Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » Variété I, La crise de l’esprit, p. 1. Paris, Gallimard, 1978. Pour une histoire des civilisations Grammaire des civilisations, par Fernand Braudel. Paris, Arthaud, 1987. L’Histoire, un essai d’interprétation, par Arnold Toynbee version abrégée de A Study of History traduit de l’anglais par Elisabeth Julia. Paris, Gallimard, 1951. Le Déclin de l’Occident, par Oswald Spengler traduit de l’allemand par M. Tazerout. Paris, 2 volumes, Gallimard, 1931-1933. Culture and History, prolegomena to the comparative study of civilizations, par Philip Bagby. Westport, Conn., Greenwood Press, 1976. Grandeur et décadence des civilisations, par Shepard Bancroft Clough. Paris, Payot, 1954.
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Cette émission a été diffusée pour la première fois le 22 septembre 2020. Pendant plus de trente ans, le photographe franco-tchèque Josef Koudelka a sillonné 200 sites archéologiques du pourtour méditerranéen, dont il a tiré des centaines de photographies panoramiques en noir et blanc. La BnF expose un ensemble inédit de 110 tirages exceptionnels intitulé Ruines », révélant toute la force et la beauté du lexique visuel d’un des derniers grands maîtres de la photographie moderne. Projet sans équivalent dans l’histoire de la photographie, la série Ruines est le résultat d’un travail personnel au cours duquel Josef Koudelka a parcouru dix-neuf pays pour photographier les hauts lieux de la culture grecque et latine, berceaux de notre civilisation. De la France à la Syrie, en passant par le Maroc, la Sicile, la Grèce ou la Turquie, ce sont 110 immenses photographies panoramiques en noir et blanc, jamais montrées jusqu’ici, qui livrent le regard de Koudelka sur la beauté chaotique des ruines, vestiges de monuments transformés par le temps, la nature, la main de l’homme et les désastres de l’Histoire. Koudelka ne souhaite pas immortaliser les ruines antiques, les figer dans une vision romantique, mais au contraire revenir encore et toujours sur les mêmes lieux pour en enregistrer les évolutions liées au passage destructeur du temps et des hommes, de la nature qui reprend ses droits. Ces paysages sont une ode aux ruines de la Mare Nostrum et nous interpellent sur la nécessité de sauvegarder l’héritage de cette civilisation – dont certaines des traces photographiées par Koudelka ont aujourd’hui disparu, comme à Palmyre. Ce qui l’anime, c’est la recherche de la beauté, une beauté qui à l’instar de celle des ruines antiques, résiste. L'entretien analyse de la ruine par l'historien Johann ChapoutotPour mieux comprendre les différents enjeux et significations que contiennent les ruines des civilisations passées, Marie Sorbier fait appel à Johann Chapoutot, professeur d'histoire contemporaine à la Sorbonne, et auteur, entre autres, de l'article Comment meurt un empire, où la ruine est analysée non plus comme ce qui reste d'une époque, mais comme le manifeste délibéré de ce qu'une civilisation veut faire perdurer d'elle-même dans les mémoires historiques. La théorie de la valeur des ruines Théorie conçue par Albert Speer, premier architecte du Troisième Reich à partir de 1933, son idée centrale selon laquelle un bâtiment doit se survivre par ses ruines avait grandement séduit Hitler. "Ce qui intéressait Hitler, c'était non seulement de créer un empire romain renouvelé avec le Troisième Reich, mais aussi une mémoire de l'empire après la disparition de celui-ci. Il fallait donc que les ruines du Reich ressemblassent à celle de la Rome antique. Le but était moins de créer un Reich effectif que la mythologie du Reich après sa disparition. C'est très intéressant car cela nous indique toute l'importance de la ruine en Occident et dans la culture occidentale." Johann Chapoutot L'architecture néoclassique, langue de l'impérialité "Quand on veut faire empire, il faut parler la langue de l'impérialité. Cette langue, c'est l'architecture néoclassique, inspirée de l'architecture gréco-romaine, et c'est aussi la langue des ruines. Le plus grand et prestigieux des empires, l'Empire romain, n'est plus visible et présent que par le squelette blanchi de ses ruines." Johann Chapoutot La photographie un nouveau rapport au patrimoine "Prosper Mérimée disait qu'il y avait plus pérenne que le monument la photographie. La photographie a révolutionné notre rapport au patrimoine en permettant d'en fixer la trace, et c'est ce qu'a voulu faire Koudelka. On observe d'ailleurs qu'il est passé du reportage de guerre à la photographie des ruines au début des années 1990, donc précisément lorsque l'empire qu'il avait lui-même connu, le bloc soviétique, s'est effondré. Ce monde-là disparaissait, et, en quête de repères, Koudelka s'est mis en quête de quelque chose de plus pérenne et solide que ce qu'il avait connu." Johann Chapoutot Quelles seraient les ruines du monde contemporain ?"On constate que certains édifice ont été construits pour faire date et pour faire trace. Pour être des monuments de notre civilisation dans une visée mémorielle tout à fait explicite. Mais ce à quoi on peut réellement penser pour témoigner de notre civilisation occidentale, ce sont les bâtiments les plus solides, ceux faits de pierre. Ce sont les édifices du 19ème siècle et de la mutation urbaine qu'incarnait la deuxième moitié de ce siècle. C'est une Europe sûre d'elle-même et dominatrice, qui prétendait incarner la civilisation et coloniser le monde, forte de son commerce, de son industrie, de ses armées et de sa science. Elle prétendait à une domination éternelle, jusqu'au grand effondrement civilisationnel qu'a représenté la Première Guerre Mondiale. Guerre mondiale qu'un autre grand amateur de ruines et de monde méditerranéen, Paul Valéry, avait dit "Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles". Johann Chapoutot
Tribune libre de Pierre-François Ghisoni* Civilisations, nous sommes mortelles ! Reste à le » savoir comme le précisait Paul Valéry dans Variétés Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » Et j’ose ajouter reste à savoir si nous ne sommes pas dans la dernière phase. Il n’est pas d’œuvre humaine qui ne soit condamnée à périr. Cela va du moindre écrit comme celui-ci à la civilisation dans laquelle il s’insère. Et les exemples ne manquent pas dans le monde. Celui qui aurait prédit au soir du 15 novembre 1532 que l’empire inca disparaîtrait sous les coups de douze Espagnols aurait risqué sa vie. Le 16 au soir… un Inca le titre équivalent à empereur et le lendemain… un prisonnier qui paiera la plus grosse rançon de l’histoire et sera néanmoins exécuté. On pourrait multiplier les exemples. Byzance, son empire et sa civilisation tombèrent en 1453 au milieu de querelles byzantines ». Vraie ou arrangée, nous est restée celle portant sur le sexe des anges ». Alors, la France de 2013 ? Comment ne pas être frappé des similitudes internes avec les dernières élucubrations de cette minorité de minorité et de ce gouvernement, dont on ne sait plus qui supporte l’autre, qui est la corde, qui est le pendu ? Comment ne pas être frappé des similitudes externes au moment où aujourd’hui, le même gouvernement relance la question du droit de vote des étrangers, alors qu’il subit et abandonne les zones de non-droit à une nouvelle féodalité barbare ? Oui, les civilisations meurent. Elles meurent par la concomitance de fêlures internes et externes qui en atteignent les œuvres vives, maquillées par un hideux replâtrage. Elles meurent à cause des mannequins tonitruants aux pieds d’argile. Elles laissent des traces, et d’autres les remplacent. Elles meurent, soit parce qu’elles ont fait leur temps, soit parce qu’on n’a pas voulu traiter quand cela était encore possible. Une civilisation à visage humain Elisabeth Kübler-Ross, dont les travaux font autorité, dégage cinq stades successifs lorsqu’un diagnostic fatal est annoncé aux humains que nous sommes le déni, la colère, le marchandage, la dépression, l’acceptation. Reste à savoir comment une société se comporte en la matière. Reste à réfléchir, peut-être à agir. Agir, c’est avoir accepté d’entendre, c’est faire le bilan des possibles sans se masquer les impossibles, c’est, prendre l’une des voies ouvertes après le stade d’acceptation laisser-aller, s’y diriger bravement, léguer pour que le témoignage perdure. Ici encore, les exemples historiques ne manquent pas, mais mieux vaut y réfléchir que d’alourdir ce texte. Mieux vaut faire le bilan… sans négliger l’espoir, mais sans s’y accrocher aveuglément. Une conclusion provisoire C’est en ce sens qu’il faut comprendre les départs, les envies de départ, ou au contraire les envies de résistance, d’enracinement, les affirmations, parfois pétries de courage, parfois pures rodomontades. C’est en ce sens qu’il faut revoir les raisons que lancent haut et fort un Depardieu, les alibis financiers d’un Arnault et de tant d’autres intouchables. C’est en ce sens que nous continuerons. *Pierre-François Ghisoni blog est écrivain et éditeur.
Ne nous laissons pas prendre par le discours culpabilisant de gouvernements dont les discours martiaux du style "nous sommes en guerre" cachent de plus en plus mal qu'ils ont failli à leur tâche. Car cette image même fait penser à nos brillants stratèges des deux conflits mondiaux qui menaient une guerre selon les principes de la précédente les causes des évènements actuels, ce sont les réductions budgétaires qui, en Italie comme en France, ont conduit à la faillite de systèmes hospitaliers qui étaient parmi les meilleurs du monde, au nom du sacro-saint pacte de stabilité ; ce sont des pratiques d'évasion fiscale tolérées par les Gouvernements et par l'Union Européenne qui ont englouti des hôpitaux et des écoles ; c'est la priorité aux profits des entreprises qui a conduit à des délocalisations sous des cieux bénis où le coût du travail est dérisoire ; c'est la dépendance qui en résulte qui a causé une pénurie des moyens de protection élémentaires, même pour le personnel soignant ; c'est la soumission servile de nos soi-disant représentants, qui ne savent même plus comment s'écrivent les mots "intérêt commun", aux lobbies industriels et commerciaux ; c'est l'égoïsme européen déjà révélé à l'occasion de la crise de la dette publique, qui va aujourd'hui jusqu'à faire voler par un pays le matériel sanitaire destiné à un autre. Si cette crise ne conduit pas à une remise en cause de nos fondamentaux économiques et financiers, nous pourrons écrire sur le fronton de nos mairies, en lieu et place de la devise de la République, cette phrase de Paul Valéry "Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles". Car ce qui provoque l'effondrement des civilisations, c'est la sclérose d'institutions qui ne peuvent plus répondre à de nouveaux défis. Et Paul Valéry ajoute "les circonstances qui enverraient les œuvres de Keats et celles de Baudelaire rejoindre les œuvres de Ménandre ne sont plus du tout inconcevables. Elles sont dans les journaux".Et maintenant, l'article d'Attac ItalieUne des stratégies les plus efficaces mises en œuvre dans toute situation d'urgence par les pouvoirs forts consiste à culpabiliser les individus pour obtenir d'eux qu'ils intériorisent la narration dominante sur les événements en cours, afin d'éviter toute forme de rébellion envers l'ordre stratégie a été largement mise en œuvre dans la dernière décennie avec le choc de la dette publique, présenté comme la conséquence de modes de vie déraisonnables, où l'on vivait au-dessus de ses moyens sans faire preuve de responsabilité envers les générations était d'éviter que la frustration due à la dégradation des conditions de vie de larges couches de la population ne se transforme en rage contre un modèle qui avait donné la priorité aux intérêts des lobbies financiers et des banques sur les droits des bien cette stratégie qu'on est est en train de déployer dans la phase la plus critique de l'épidémie de a mis le roi à nu et fait ressortir toutes les impostures de la doctrine système sanitaire comme celui de l'Italie, qui jusqu'il y a dix ans était l'un des meilleurs du monde, a été sacrifié sur l'autel du pacte de stabilité des coupes budgétaires d'un montant global de 37 milliards et une réduction drastique du personnel moins personnes, entre médecins et infirmières, avec pour brillant résultat la disparition de plus de lits d'hôpital – ce qui veut dire, s'agissant de la thérapie intensive de dramatique actualité, qu'on est passé de 922 lits pour habitants en 1980 à 275 en cela dans le cadre d'un système sanitaire progressivement privatisé, et soumis, lorsqu'il est encore public, à une torsion entrepreneuriale obsédée par l'équilibre la mise à nu du roi soit partie de la Lombardie est on ne peut plus illustratif cette région considérée comme le lieu de l'excellence sanitaire italienne est aujourd'hui renvoyée dans les cordes par une épidémie qui, au cours du drame de ces dernières semaines, a prouvé la fragilité intrinsèque d'un modèle économico-social entièrement fondé sur la priorité aux profits d'entreprise et sur la prééminence de l'initiative remettre en question ce modèle, et courir ainsi le risque que ce soit tout le château de cartes de la doctrine libérale qui s'écroule en cascade ? Du point de vue des pouvoirs forts, c'est ainsi démarre la phase de culpabilisation des n'est pas le système sanitaire, dé-financé et privatisé qui ne fonctionne pas ; ce ne sont pas les décrets insensés qui d'un côté laissent les usines ouvertes et encouragent même la présence au travail par des primes et de l'autre réduisent les transports, transformant les unes et les autres en lieux de propagation du virus ; ce sont les citoyens irresponsables qui se comportent mal, en sortant se promener ou courir au parc, qui mettent en péril la résistance d'un système efficace par chasse moderne, mais très ancienne, au semeur de peste est particulièrement puissante, car elle interfère avec le besoin individuel de donner un nom à l'angoisse de devoir combattre un ennemi invisible ; voilà pourquoi désigner un coupable les irresponsables », en construisant autour une campagne médiatique qui ne répond à aucune réalité évidente, permet de détourner une colère destinée à grandir avec le prolongement des mesures de restriction, en évitant qu'elle ne se transforme en révolte politique contre un modèle qui nous a contraints à la compétition jusqu'à épuisement sans garantir de protection à aucun de à nous comporter de façon responsable et faisons-le avec la détermination de qui a toujours à l'esprit et dans le cœur une société commençons à écrire sur tous les balcons Nous ne reviendrons pas à la normalité, car la normalité, c'était le problème. »Pour ceux qui lisent l'Italien, le lien avec le texte original
nous autres civilisations nous savons maintenant que nous sommes mortelles